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Fermeture exceptionnelle du musée Fournaise pour travaux jusqu'au printemps 2025. 

La maison Fournaise, l'histoire d'un phénix

Niché sur ce petit bout d’île de Chatou, l’héritage des Fournaise peut se targuer d’exister depuis près deux siècles. Leur restaurant sert de cadre au Déjeuner des canotiers de Pierre Auguste Renoir, l’un des plus beaux chefs-d'œuvre de la peinture impressionniste. Client et canotier, Guy de Maupassant se plaît à le surnommer “le restaurant Grillon” dans La Femme de Paul.

Publié le 13 April 2022

Maison Fournaise
Tout de même, quel destin que celui de la Maison Fournaise qui s’agrandit, s’embellit, s’égaye, se meurt… Puis, renaît plusieurs fois ! Aujourd’hui, elle embaume à nouveau la brise de fumets gourmands, régale les papilles et enchante les amoureux de belles histoires à découvrir au musée du même nom. 

L’histoire d’une famille de Chatou

Sur cette petite parcelle de l’île, l’aventure commence dans les années 1830. Hyacinthe Fournaise possède un fonds de commerce de déchirage de vieux bateaux hors d’usage. Il revend les pièces de bois et les clous récupérés. Le chantier porte le doux nom de L’Espérance. Les mariniers, charpentiers, menuisiers s’y fournissent en pièces détachées. A la mort prématurée de ce premier entrepreneur, l’affaire est cédée à l’un de ses cousins pour la somme de 7000 francs, en 1844. Le terrain inondable n’en vaut que huit cents. C’est dire si l’affaire est juteuse.

De la baraque de chantier … au premier débit de boisson

Le nouveau propriétaire, Jean-Louis Fournaise, y construit son habitation. Cette petite maison sera par la suite agrandie et rattachée aux salles du restaurant. Elle s’appuie en partie sur le mur existant de la maison d’un certain Victor Levanneur. Les fenêtres en médaillon – toujours visibles – éclairaient l’ancien escalier qui desservait deux chambres à l’étage. L’ancienne porte d’entrée s’aperçoit aussi ; elle ouvrait sur la cuisine et la salle à manger au rez-de-chaussée. Des constructions en bois sur pilotis complétaient l’ensemble. 

La petite maison d’habitation a-t-elle pu servir au premier débit de boisson ou bien uniquement à la vente du vin au détail à emporter ? Difficile à dire… Dame Suzanne Pétré, épouse de sieur Jean-Louis Fournaise, est enregistrée comme “marchande de vin” en 1851. Nul ne saurait décrire en quoi consistent les prestations proposées. “Le premier maître queux ” à passer derrière les fourneaux pourrait être une femme. Rêvons un instant, mais point trop ! L’histoire se construit à partir d’éléments tangibles. Et malheureusement, aucun acte des fonds de commerce n'a été retrouvé. L’historien reste sur sa faim.

Toutefois, dame Suzanne Pétré n’est pas la première “marchande de vin” de la famille. Leur jeune cousin de vingt-trois ans, Alphonse Fournaise, est déjà enregistré en tant que tel à Chatou en 1846 ! Mais cette année-là, on ignore à quelle adresse. En revanche, dix ans plus tard, on sait qu’il réside en famille rue du Pont, sur la rive de Chatou. Travaille-t-il avec ses cousins de l’île ? C’est fort possible. Mais il peut tout aussi bien avoir son propre débit de boisson. 

Par ailleurs, il n’est pas rare que les marchands de vin cumulent plusieurs activités. Alphonse Fournaise en est le parfait exemple. Le commerce du bois de bateaux, il connaît ! Il procède à l’inventaire des outils et des stocks des chantiers de L’Espérance en 1844 suite au décès de son cousin Hyacinthe.

Marchand de vin : grossiste en vin ou petite gargote ?

Au 19e siècle, l’activité de « marchand de vin » en soi est assez floue. Par le passé, elle consistait à vendre uniquement le vin au détail à emporter. Au 16e siècle, la corporation qui rassemble les taverniers, cabaretiers et hôteliers est régie par une réglementation spécifique à chaque profession, très cloisonnée. La Révolution Française entraîne la suppression des monopoles et privilèges. Certains marchands de vin se saisissent alors de l’aubaine pour servir des plats de viande rôtie, nappée d’une sauce… marchand de vin, d’un bouillon. Chez les Fournaise, quelques assiettes d’une cuisine locale sont vraisemblablement proposées à la clientèle de passage sur l’île dans un estaminet simple, pour un prix modique. Les Fournaise avaient le sens du commerce, des affaires, sans oublier celui de la famille. Aussi, les ventes et reventes des biens immobiliers et fonds de commerce ne se firent qu’entre cousins Fournaise !

La clientèle 

Idéalement située au pied du pont de Chatou, la première clientèle est avant tout laborieuse et presque exclusivement masculine. Si un débit de boisson ou une gargote ont pu exister pour sustenter quelques appétits dans les années 1850, il n’est pas encore d’usage de se rendre en famille au restaurant près de chez soi. L’époque est aux invitations et aux réceptions bourgeoises servies par les domestiques. 

En revanche, les classes populaires avaient leurs habitudes en banlieue pour prendre du bon temps à danser et boire du petit vin, souvent frelaté. Sous des tonnelles des guinguettes, qu’il était bon d’oublier la vie dure des ateliers et des manufactures ! 

A n’en point douter, le plaisir nouveau d’aller sur l’eau attire les classes moyennes à qui l’époque sourit. Chacun veut goûter aux charmes d’une partie de campagne et découvrir les frissons du canotage. Ajoutons les deux derniers ingrédients à la recette du succès : la desserte ferroviaire et la beauté des bords de Seine. Les peintres sont de plus en plus nombreux dans les alentours de Chatou. Ils sont friands des miroitements de la rivière, un sujet plus joyeux que les sombres massifs forestiers de Fontainebleau. Et puis, artistes et intellectuels aiment se retrouver dans les cafés, lieux d’échange ô combien importants dans l’histoire des arts. Enfin, au bord de la Seine, les villégiatures de personnalités plus fortunées représentent une clientèle en quête de divertissement. Alors, pour celui qui a du flair, le cocktail de la réussite tient à l’art du commerce : régaler les touristes d’un nouveau genre, louer des canots aux promeneurs du dimanche, accueillir chaleureusement tout un chacun. 

En 1857,  Alphonse Fournaise, qui donnera son nom à l’établissement, est bien avisé en rachetant à ses cousins la maison d’habitation et le /ou les fonds de commerce. Les affaires marchent si bien qu’il faut l’agrandir. 1866 est à marquer d’une pierre blanche : Alphonse Fournaise adresse une requête au préfet de Seine-et-Oise pour démolir les anciens chantiers le long du chemin de halage et y reconstruire des salles d’un restaurant coquet avec un balcon en bois. Le tout est relié par une porte cochère à la maison qui est agrandie pour l’occasion. L’année suivante, Alphonse Fournaise, est enregistré cette fois-ci comme restaurateur ! “L’hostellerie” monte en gamme. Les tables sont nappées. Tel est l’usage d’un service raffiné dans les restaurants qui les distinguent des caboulots, limonadiers et autres guinguettes.

Dès lors, la façade à briques rouges du restaurant Fournaise est celle que nous connaissons encore aujourd’hui. Durant les décennies suivantes, Alphonse Fournaise continue ses agrandissements, remplace le balcon de bois par celui en fer forgé avec son monogramme, aménage une véranda, une terrasse, des cabinets de verdure, des ateliers et garages à bateaux. Il loue des canots à sa clientèle un peu bohème. Dans les années 1880, les artistes décorent les façades et les salles du restaurant de scènes humoristiques. 

Mais enfin, que pouvait-on bien déguster au restaurant Fournaise ? Là encore, ni menu ni recette ne nous sont parvenus. Tout au plus, quelques souvenirs rapportés par des clients évoquent la soupe au lard, de la volaille et du poisson. Eh oui, malgré l’état sanitaire catastrophique de la belle rivière, qui charrie les déversements des égouts de Paris et les lessives des bateaux-lavoirs, Alphonse Fournaise avait amarré sur la Seine deux viviers, dits des boutiques à poissons. De la friture locale, croquante et assaisonnée à souhait était portée au régal des convives. Au dessert, des fruits de saison invitent au péché de gourmandise sous le pinceau de Renoir : des poires, des pommes et du raisin. L’historien n’a rien de plus à se mettre sous la dent pour raconter l’histoire culinaire du restaurant Fournaise.

La Maison Fournaise, éternelle beauté

Au début du 20e siècle, la famille a vieilli et le restaurant ferme vers 1905. Après avoir failli disparaître durant une longue agonie architecturale, le vieux restaurant et les maisonnettes accolées sont finalement rachetés par la ville de Chatou en 1979. Les façades sont inscrites à l’inventaire supplémentaire des Monuments Historiques. Rénové, restauré avec le soutien d’associations, comme celle des Amis de la Maison Fournaise, le restaurant retrouve ses couleurs d’antan et son charme suranné en 1990. Les beaux jours reviennent. 

Cette année, il s’offre une nouvelle cure de jouvence. Une page gastronomique inédite s’ouvre avec le chef Stéphane d’Aboville dans la tradition créative de ses tenanciers successifs. Que de surprises à découvrir dans cet écrin historique enchanteur.

Anne Galloyer, Conservatrice du musée Fournaise